Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

16 jours de Shugyo

Publié le par Jean-Pierre LABRU

16 jours de Shugyo

Cet article que j'ai rédigé est paru dans le magazine Ken Do Mag en 2023

 

Aller au Japon sans son armure, pour moi, relève d’une totale hérésie. Et pourtant, uniquement chargé de cadeaux, j’arrive au Japon, un sac d’armure vide. En fait, ma nouvelle armure m’y attend.


Je m’apprête à passer 16 jours de Shugyo*, voyageant dans le Japon de Dojo en Dojo avec, pour seule compagnie, les senseis et partenaires d’entrainements. Le premier dojo visité est le ShoFuKan. Iwatate sensei, shinpancho* des derniers Championnats du Monde en Corée (2018), est très connu pour organiser des entrainements spécifiques à l’attention des candidats au 8e dan. Sommité du Kendo no Kata, pratiquer dans le dojo de Iwatate sensei est sans nul doute un passage fortement conseillé sur la longue route de l’examen le plus sélectif au Monde toutes disciplines confondues**. Personnellement, j’avais été marqué par son passage en France, au Ken No Michi. Je me souviens encore de l’incrédulité des uns et des autres quand il s’est déshabillé devant nous pour nous montrer comment mettre son Keikogi et Hakama. D’ailleurs, je n’en avais pas perçu toute l’importance alors. J’arrive donc, en avance, le sensei est déjà là. Bien entendu, je me suis fait annoncer plusieurs mois à l’avance, demandant la permission de venir pratiquer. On me demande souvent comment faire pour aller s’entrainer dans les dojos au Japon. En fait, le moyen le plus adéquat est de se faire recommander par son professeur qui lui, se portant garant pour vous, active son réseau afin d’obtenir cette autorisation. Mes entrainements au ShoFuKan me permettent de rencontrer nombre de hauts gradés du lieu et de passage, lors des taichiai commentés par le sensei, ou des keiko par groupe d’âge et de niveau. Bénéficiant en continu des bonnes grâces de Noriko san, l’aide de camp du sensei et sempai du dojo… En fait elle m’attrape par la manche et je passe devant toutes les files d'attente, passablement embarrassé, pour échanger shinai en mains avec tous les 8e dan présents à chaque séance :  du caviar !


Le dojo suivant m’est rendu possible par, sans la nommer tout en la prénommant : Caro-Chan ; Le dojo est KoGakuin. Kazuma sensei et Takahashi sensei m’accueillent comme un hôte de marque. Je reçois bien évidemment la leçon de chacun d’eux mais aussi profite de l’occasion pour rencontrer des kenshis non professionnels du Kendô. Le keiko avec Kazuma sensei : j'aime bien son placement de hanches, il aime bien mon men. Ah oui et sans me prévenir, à la fin du cours, il me passe la parole pour un discours... en Japonais. Mon Japonais étant très limité, il ne me vient que des superlatifs… 


Le keiko du samedi après-midi ayant été annulé pour cause d’élections locales, une autre de nos ambassadrices au Japon, Marijo, très opportunément me propose un entrainement dans un endroit historique pour le Kendô français : le Shodokan, dojo de la famille Okada. Morimasa sensei m’accueille chaleureusement et nous devisons longuement sur le devenir du Kendô autour d’une tasse de thé. S’en suit l’entrainement des enfants qu’il dirige alliant exigence, conseils et encouragements. Opportunément également, quelques candidats au 8 se trouvent présents et nous pouvons échanger quelques points de vue, shinais croisés. J’ai l’honneur ensuite de recevoir la leçon de Okada sensei lors d’un keiko qui aura duré 10mn et dont je garde précieusement le souvenir, et la vidéo.


Mon trajet vers Gifu fut une première : le Shinkansen, ce qui me replonge dans le blockbuster visionné dans l’avion pour venir ; heureusement, l’issue est plus paisible. Shimojima sensei, venu l’an dernier encadrer le stage de Montpellier, me fait me sentir comme un coq en pâte. Je suis logé dans les hébergements luxueux des dépendances du dojo de l'entreprise Valor (Chaîne de Supermarchés au Japon). J’ai droit à plusieurs entraînements en tête à tête avec Shimojima sensei dans l’immense dojo « Valor » tout neuf. Le parquet n'étant pas encore traité, son ami, le père de l'ancien champion du Japon Chikamoto, nous humidifie régulièrement le plancher avec son petit arrosoir : pittoresque ! A l’université de Gifu, je rencontre à nouveau quelques candidats au 8, puis comme souvent, une file d’étudiants qui se pressent pour échanger avec cette curiosité : un Européen prétendant pratiquer le Kendô.


Le point d’orgue de mon parcours au Japon cette année est sans conteste ma journée à Nagoya avec Higashi et Shimojima sensei. Empruntant le dojo plus que centenaire de la famille Sugiyama, Higashi Yoshimi sensei nous reçoit en son fief : Nagoya. Deux autres candidats au 8, cette fois encore, des sommités de la société japonaise, et moi, pouvons pratiquer nos gammes avant les diverses mises en situation. Avant tout cela, j’ai droit à un traitement de faveur, allongé sur le sol : un massage par les talons de Higashi sensei, tout en délicatesse comme vous pouvez l’imaginer. N’empêche que je me sens mieux après… que pendant, pour être tout à fait honnête. Une remise en question de la façon de mettre mon hakama plus tard et je commence direct par un taichiai avec Higashi sensei, puis un autre avec Shimojima sensei ; puis deux passages avec chacun des deux autres candidats, le tout commenté par les senseis. Higashi sensei a vraiment quelque chose de spécial ; il s’avère que face à lui, par sa présence et son engagement, on ne peut rien faire à moitié. Je me sens intensément supporté et entrainé vers le haut donnant ainsi mon meilleur. Et quels beaux souvenirs, et sources de travail, que toutes ces vidéos.


Mon périple m’emmène ensuite à Osaka pour deux jours, répondant à l’invitation de Inoue sensei de Nara. Une leçon de vie m’y attend. Le Shudokan est le dojo dans l’enceinte du château de Osaka. Les touristes viennent observer depuis le seuil de l’entrée, mais seuls les kenshi recommandés peuvent s’y entrainer. Suivant Inoue sensei comme son ombre, j’ai accès à la salle des professeurs, l’honneur de me faire servir le thé par les senseis et de répondre aux nombreuses questions qu’ils se posent tous sur mon compte. Dans le dojo se déroulent keiko de Judo et de Kendo dans le même espace et en même temps. Le plancher est très bon. Une demi-heure de uchikomi avant les keiko voit mon mollet droit se contracter perclus d’une douleur très reconnaissable. L’échéance est trop proche : j'arrête immédiatement et fais mitorigeiko. Trois ou quatre senseis attirent mon attention. J'embarque à bord de leur keiko, c'est fantastique ! Le seme de l'un, le tame de l'autre, j'achète tout !  Inoue sensei porte sur ses épaules le poids des années de Kendo, bien que marchant à l'équerre avec une canne, il se redresse totalement pour le keiko et, selon l’expression consacrée, il « fait de son mieux ». C’est avec toujours l'esprit acéré, pertinent et impertinent qu’il me demande le keiko ; malgré la douleur, je remets mon men et vais l’inviter ; comment refuser ?! Nous allons dîner ensuite et le moulin à parole repart de plus belle.


Clopin-clopant, j'arrive sur Kyoto. La machiya* restaurée de Asahara sensei est merveilleuse de modernisme et de tradition. J’y retrouve notre président d'honneur EKF et nous y passons 5 jours mémorables. Toujours très gêné par la douleur au mollet droit, même pour marcher, je continue les mitorigeiko à l’exception d’un keiko, organisé par notre hôte Asahara sensei, avec quelques autres candidats.


Le jour du passage de grade : Tant que je n'étais pas sur Kyoto, le stress du passage n'avait pas fait surface. Cela fait désormais trois jours qu'il a vraiment commencé. Dès que mes pensées s'évadent, c'est pour échafauder des scénarios plus improbables les uns que les autres tournant autour du passage de grade. Autant dire que le heijoshin* ne va pas être du gâteau. La nuit avant le passage s'est plutôt bien passée. Le stress est là, le tout est de le transformer en énergie positive, intensité, et densité. Quelques signes, dès le matin, m'annoncent que la journée ne sera pas de celles où tout me réussit. Va falloir s'accrocher. Les exercices matinaux passés, je prends mon petit déjeuner et pars en taxi ; Arrivé sur place, pas dans les premiers au regard de la file d'attente à l'extérieur, je passe devant la caméra thermique : elle ne me sauvera pas, va falloir y aller. En chemin j'ai vu une camionnette sur laquelle était marqué "smile and enjoy" (souris et profite), je me dis que c'est la phrase du jour. Je me présente à mon passage de 8e dan (3e tentative), j'ai de la chance d'être là ; c'est un moment important ; je vais le vivre à fond. J'ai mon ticket d'entrée, et je l’échange contre un numéro de passage. Je vais sur le shiaijo que je pensais être le 4 et qui au final était le 6; pour ma défense, cela n'était écrit nulle part. Ok quand j'ai vu les numéros commencer par 600, j'aurais dû percuter. Et puis Ichikawa sensei de la police de Kyoto est venu m'interpeller pour me convoyer sur le bon shiaijo. Mon numéro est 408D: j'ai le temps de voir passer mes deux partenaires : le 408A et 408C. Le 408B les domine par la menace et la percussion dans ses uchi mais sans valider de yukodatosu clair. Il passera tout de même au second tour. Mes deux partenaires, 408A et 408C, ont deux Kendo atypiques, par leur Kamae, leur rythme et autres trajectoires de Sabre ; je dirais qu'ils ne sont pas professionnels du Kendo. Tandis que 408B, dont j'avais repéré la coupe de cheveux et la massivité de la silhouette, confirme bien, par un Kendo sur des rails et des trajectoires régulières et uniformes, qu'il est un policier. Et moi dans tout ça : le sentiment d'être en dehors du coup, je ne suis pas dedans comme on dit. Quand le kiai n'est pas là, le reste ne vient pas. Rien d'autre à en dire, si ce n'est, d'en tirer les enseignements. Faire un tour du Japon des dojo avant un grade n'est pas forcément judicieux. On récolte des conseils de chaque sensei, on veut essayer de les appliquer mais ce n'est pas le meilleur moment. Pour être au mieux de ses capacités, il faut avoir capitalisé sur ces changements, puis les avoir stabilisés afin de retrouver confiance en son Kendo. Dans mon cas, au-delà de la blessure, je me sens « puzzelisé » dans mon Kendo. De fait, manquent à l'appel : ma sensation dans les hanches, la tenue du shinai, le kiai... ça fait beaucoup.


Le jour du Kyoto Enbu Taikai* : Deux jours après le passage de 8, c’est d’une farouche détermination que je procrastine toutes les améliorations de mon Kendo. C’est par ce moyen que je tente de me retrouver pour ces deux minutes, salut compris, dans le Butokuden ; un lieu si chargé d'histoire par de si beaux combats entre d’illustres senseis : historique ! Clairement apparaît ma principale source de motivation : faire honneur au lieu, et aux senseis qui me font confiance. Dans le grand hall d’entrainement, n'ayant pas le droit de nous échauffer en armure, en plus de quelques suburi, conscient du manque de kiai deux jours plus tôt, je travaille quelques exercices de respiration ventrale. On nous fait s'asseoir sur des chaises dans la salle d'entraînement par groupe de 10 combats ; J’observe à la dérobée, tentant de l’évaluer, mon partenaire assis à ma gauche. Puis nous sommes conviés à entrer dans le saint des saints. Le temps de mettre mon men et de voir la plaquette avec mon nom progresser dans sa glissière, c’est à moi. Indéniablement, plus de 120 ans de Kendo en son sein gravant l’Histoire, la cohorte des senseis et en premier lieu, les différents empereurs l'ayant fréquenté, me galvanisent. Les veines proéminentes du plancher sous mes pieds, le kiai qui resonne comme nulle part ailleurs, confortent mes bonnes sensations. Mon partenaire est expérimenté, en même temps c'est naturel en tant que kyoshi 7e dan et dans mes âges. D'entrée, grâce au kiai, je sens que mon seme s'exprime aujourd'hui. Voilà, aucun ippon n’est validé par les arbitres mais je ressens mes uchi plus denses et intenses comme j'aurais aimé les sentir pendant le passage. D'ailleurs, avec regrets, mes senseis supporters m'en font tous la remarque après coup. Je garderai ce bon combat comme une référence. A suivre donc… Juste le temps de fermer mon sac et de sauter dans un taxi, je fonce vers l’aéroport, me projetant déjà vers la prochaine tentative.


Partir à la rencontre de tous ces senseis, croiser le shinai de compagnons de voyage sur le même GR8* et faire résonner de mes fumikomi des lieux chargés d’Histoire et d’histoires me font assurément entrevoir des progrès, des changements a minima. Mais le principal, sans doute issu des longs moments seul face à moi-même analysant l’expérience en cours, relève plus d’une prise de conscience de qui je suis, ce que et qui je représente, comment je me positionne par rapport au Kendô Japonais et, pour finir, comment et jusqu’où je peux raisonnablement prétendre aller. 


Bien, allons-y maintenant !

 

* Shugyo : Période d’entrainement ascétique, généralement parcourant le Japon en quête d’expériences de pratique dans le but de progresser sur la voie du Budo
* Shinpancho : Chef des arbitres lors d’une compétition
* : Le 8e dan de Kendô est l’examen le plus sélectif au monde car il nécessite déjà presque une vie de pratique (7e dan depuis plus de 10 ans, soit 40 ans de Kendô minimum) pour pouvoir s’y présenter et que le taux de réussite avoisine, chaque année, les 0,6 pourcent (12 reçus sur 2000 candidats).
* Machiya : Maison en bois traditionnelle que l’on trouve notamment à Kyōto.
* Heijoshin : est l’état d’esprit de tous les jours. Sans peur, sans doute, sans surprise ni perplexité.
* : Le Kyoto Enbu Taikai, la 119e édition cette année, regroupe plusieurs milliers de hauts gradés de Kendo qui viennent faire un combat de démonstration de 2 minutes dans le dojo Butokuden de Kyoto datant de la fin du 19e siècle.
* GR8 : Chemin de Grande Randonnée numéro 8 (métaphore)

 

 

Partager cet article
Repost0

Le Kiaï

Publié le par Jean-Pierre LABRU

Le Kiaï

Cet article que j'ai rédigé est paru dans le magazine Ken Do Mag en 2023


Comme à chaque début de saison, une promotion entière de débutants, disséminée dans tous les clubs de France, s’est trouvée initiée au Kiaï dès le premier cours. Le premier suburi, le premier uchikomi, les a vu pour leur première fois crier en frappant.


Dans notre société civilisée, polie et policée, il est toujours intimidant, dérangeant, de crier, sans danger imminent comme alibi. Et puis, l'ambiance aidant, sonore notamment, on se lâche un peu plus à chaque fois. Pour certains, ou certaines, cela prendra plus de temps mais d'ores et déjà dites-vous bien que dans les Budo, qu'il soit sonore ou non, le Kiaï n'est pas une option. Le Kiaï qui peut être traduit par le "rassemblement des énergies", se présente, à première vue et extérieurement, comme un son. A y regarder de plus près, quand un vrai Kiaï survient, on s'aperçoit que le corps tout entier a participé à sa production. Et c'est là que l'on renverse la cause et l’effet : le Kiaï se révèle être en fait la résultante, la partie visible (audible), d'une lame de fond venant du plus profond de notre être. Ce rassemblement, mobilise, implique, détermine, galvanise, les énergies psychiques et physiques, nous offrant la capacité simultanée et décomplexée de décision et d'action simultanées.

 

Les Kiaï du Kendô en armure


Le Kiaï de préparation s'exprime sonorement quand on est en Kamae.  Préparation : le terme peut sembler inapproprié puisque nous nous sommes déjà bien évidemment intensément préparés avant même de saluer notre partenaire. En fait, il est le Kiaï qui affiche l'état de notre préparation et par lequel les senseis évaluent un candidat, lors d’un examen de grade, à travers la densité vibratoire qui s'en dégage. "Le kiaï est une respiration profonde. (…) Un kiaï correct est très probablement la marque d'un haut niveau parce qu'il est lié à une respiration juste." (SUGA Toshiro sensei) Il peut, tout à la fois, nous galvaniser, nous libérer (du doute, de la peur, de l’hésitation, de la perplexité), démontrer l'état de notre détermination et nous permettre de finaliser de rassembler les éléments physiques et mentaux de l'attaque.  
Le Kiaï d'exécution est celui qui est délivré lors du Ki-Ken-Tai-No-Itchi. Sans rupture, profitant des effets du Kiaï de préparation et de la posture adaptée, les disponibilités mentale et physique, toutes deux associées, se trouvent à même de produire ce Kiaï. Résultant de l'intense préparation, celui-ci est libéré à l'instant même de la délivrance de la frappe, validant ainsi le Ki-Ken-Tai-No-Itchi. Avec le Kiaï se conjuguant aux impacts du sabre et du corps, le Ki-ken-tai-no-Itchi devient une vibration, une résonnance ; notre corps en action, prolongé du sabre, en est le diapason ; et "c'est quand le diapason touche sa cible que le son se produit". 

 

Le Kiaï dans le Kendo no kata


Le principe de génération du Kiaï par la préparation s'applique ici également ; à chaque prise de garde de chacun des dix mouvements du Kendo no kata, les deux postures mentale et physique associées à la prise d'une inspiration capitalisent le Kiaï qui est ensuite distillé durant toute la durée du mouvement. L'uchidachi, celui qui attaque en premier, produit avec son Kiaï le son "Yaaa!" . Il exprime par là-même un engagement total dans l'action quitte à en perdre le contrôle de ses émotions. Le shidachi, lui, au moyen d'une technique déterminante répond par un "To!" conclusif, concis : tout en maîtrise émotionnelle et technique de la situation.

 

Quand les émotions génèrent le Kiaï

 

Récemment, je disais à une de mes élèves qui venait de réussir pour la première fois à mettre une émotion dans son Kiaï, que tous ses précédents « cris » n'avaient pas autant la profondeur requise pour prendre part à sa frappe que celui-ci. Après quelques années de pratique légère et très irrégulière, ma fille de 10 ans vient de pousser son premier Kiaï. Violemment invectiver son Papa puis le frapper devait probablement être source d'une motivation insoupçonnée pour elle. Sans intention forte, déterminée, le son qui sort de nous n'est qu'un cri sans grande portée, utilité ni intérêt. L’intention, mais aussi l’intonation : un Kiaï qui se maintien en intensité apporte beaucoup plus de bénéfices que celui perdant son intensité en descendant dans les graves. Cette intensité recherchée ne peut pas se trouver sans une forte mobilisation mentale dont la source peut être une émotion. A plusieurs reprises, j'ai été témoin d'une colère, frustration, lâcher prise, ambition et autre détermination, qui une fois canalisées dans le cadre de techniques fondamentales de Kendô ont été les moteurs d'un Kiaï puissant, prolifique et irrépressible pour le partenaire. Quoi qu’il en soit, il n’existe qu’un seul moyen pour produire le Kiaï, c’est de mettre à contribution, intensément et au meilleur moment, absolument tout ce qui fait de nous ce que nous sommes. 

 

Quand le Kiaï gère les émotions


Il n'existe qu'un seul remède contre les 4 maux (Shikai : Peur, doute, hésitation, perplexité) et peu s'y réfèrent quand on aborde la question. Oui, le Kiaï en est bien le remède. Par la mobilisation positive et intense qu'il demande, il permet d'évacuer le superflu, le négatif, l’approximatif ; Il nous met à 100% dans le temps "ressenti-action" qui ne laisse aucune de place à quelque pensée parasite. Cela devient une façon de faire table rase de ces pensées venant du passé pour se consacrer totalement au présent, et encore mieux, aux présents : notre partenaire et nous-même.

 

Le Kiaï dans l'arbitrage


Oui, n'oublions pas que l'arbitrage est une facette indispensable à une pratique complète du Kendo. Le Kamae de l'arbitre, composé du regard (metsuke) et de la posture, ainsi que ses déplacements, appartiennent au combat comme s'il faisait un peu shiaï lui-même. Les commandements d'arbitrage ne sont autres que des Kiaï ; non pas que mon passé militaire me fasse digresser mais bien que, tant le niveau de concentration que le niveau de Kendo, transparaissent à travers les vibrations du Kiaï arbitral. Celui-ci se transmettant aux combattants les rassure sur les compétences de l'arbitre, ils vont ainsi pouvoir tout donner sans craindre de se faire flouer.

 

En condensé, le Kiaï


"By failing to prepare, you are preparing to fail." (Benjamin Franklin) “Si vous échouez à vous préparer, vous vous préparez à échouer." Par une intense préparation générant du kiaï, vos attaques, vos frappes possèdent les meilleures chances d'aboutir. L'état d'esprit, la posture, l'émotion génératrice, la détermination à tout miser sur une seule frappe, la préparation de la verbalisation de cette frappe (men, do, kote, tsuki), tout ceci contribue au Kiaï et donc à la réussite. On voit trop souvent la libération du Kiaï (sonore) arriver après la frappe, dans les uchikomi notamment. Cela résulte assurément d'une exécution machinale, dilettante et sans une réelle et forte intention de faire ippon. Soyons donc intensément présents par notre Kiaï dans nos actions ; que ce soit avant (seme), pendant (kikentai no itchi) ou après (zanshin) et les ippons que nous marquerons deviendront des évidences pour les arbitres, notre partenaire, le public et en premier nous-même.
 

Partager cet article
Repost0

Le championnat du Japon individuel masculin 2022

Publié le par Jean-Pierre LABRU

Le championnat du Japon individuel masculin 2022

Cet article que j'ai rédigé est paru dans le magazine Ken Do Mag en 2022

 

...l'année des 70 ans de la fédération japonaise,


 
Chaque 3 novembre, jour férié et jour de la culture au Japon, a lieu le championnat national individuel masculins au Nippon Budokan. 

Il est intéressant de noter que le Kendo est la seule discipline au Japon pour laquelle la famille impériale remet le trophée au vainqueur. Cette année, ce fut la princesse Yoko qui assistait, depuis son promontoire isolé et d'un œil avisé, à tous les combats : elle récupéra la coupe du vainqueur précédent lors de la cérémonie d'ouverture pour la remettre au vainqueur du jour lors de la cérémonie de clôture. Accompagnée partout de son garde du Corps de la police impériale : Terachi sensei, Princesse Yoko faisait partie de la délégation des étudiants du Kanto venue en 2006 à Paris au printemps, délaissant ainsi la floraison des cerisiers afin de venir entraîner l'équipe de France. 


Puis vint la traditionnelle démonstration de Kendo no Kata avec Tani sensei et Matsuda sensei. Pour les connaisseurs, ne ratez sous aucun prétexte le fantastique sen sen no sen de Matsuda sensei dans le Ipponme.


La veille, les arbitres avaient reçu, drapeaux en main, les dernières consignes de Koda sensei, en présence de tous les compétiteurs costumés et cravatés pour l'occasion. Tandis que quelques policiers, shinai à la main, étaient responsables de la circulation des arbitres sur le shiaijo. 
Également costumé et cravaté, Œillet rouge enrubanné à la boutonnière, je m'installai à la tribune officielle : les combats pouvaient commencer. 


En élimination directe, se sont affrontés 64 combattants, sélectionnés dans tout le Japon ; autant dire qu'il n'y eut pas vraiment de tour de chauffe. 3 vainqueurs de précédentes années passèrent le premier tour mais ils n'irent pas beaucoup plus loin. Très vite, depuis le début en fait, mon préféré fut Yano Takayuki (26 ans), le petit fils de Yano Sensei bien connu des Français. Tant son kendo technique, équilibré et puissant, que son aplomb en toutes circonstances, en font selon moi un futur vainqueur tout désigné. Il ne s'inclina qu'en demi-finale face à Ando Sho (32 ans). Sho Ando, ayant fait partie de la délégation des étudiants lors du Paris Taikai 2012, excusez du peu, est aussi champion du monde en titre et capitaine de l'équipe du Japon. Et sans faire de jeu de mot sur son prénom, quand il rentre sur le shiaijo, la température montre d'un cran. Et c'est notamment grâce à ce fighting-spirit qu'il se retrouve en finale flirtant au passage, çà et là, avec les limites des nouvelles règles notamment en matière de reprise "équitable" de distance depuis Tsuba-zeriai. Rattrapé en demi-finale par la patrouille "Tani sensei" qui le fit revenir sur la voie de la raison mais cela ne fut pas cher payé au regard de l'ensemble de son œuvre. 


Et nous voilà en finale, un moment qui restera dans les mémoires comme le point d'orgue de ce 70ème anniversaire de la fédération japonaise de Kendo. Murakami Testsuhiko (30 ans) était l'outsider désigné : les pronostiqueurs ne donnaient pas cher de son keikogi en finale contre Ando. Mais c'est crânement que Murakami repoussa les attaques et autres percussions comme autant de tentatives de déstabilisation de la part de Ando. Un koté au Hasuji (tranchant) mal ajusté par Ando, au tout début, aurait bien pu changer la physionomie du combat. Quelques échauffourées éclatèrent où Murakami démontra un flegme empreint d'une fermeté démontrant qu'il était bien dans la course afin faire valoir ses droits à la victoire. Puis il y eut un premier Men, tel se poserait un oiseau céleste sur le bleu 'aizome' (indigo) du casque de Ando. Par la suite, après un morote tsuki à deux centimètres près de relancer le suspens, Ando redoubla d'efforts, tous vains, ce qui laissaient à penser que le doute commençait à s'installer. 


Puis un deuxième Men où le debana Kote de Ando ne rencontra que le vide, donna la victoire à Murakami par deux superbes Men en moins de 5 minutes. Tandis que Ando affichait visiblement sa déception, ce ippon scella la fin de sa dixième sélection à ce championnat : ce qui est exceptionnel. En conclusion, on peut résumer cette finale principalement à la confrontation de deux styles de Kendo, deux personnalités différentes qui se sont opposées, rencontrées, le temps d'un combat donnant ainsi de merveilleux souvenirs à tous les amoureux du Kendo. 

Partager cet article
Repost0

Quelques points de passage vers les hauts grades

Publié le par Jean-Pierre LABRU

Quelques points de passage vers les hauts grades

Cet article que j'ai rédigé est paru dans le magazine Ken Do Mag en 2022

Il y eut ce passage de haut grades (6 et 7e dan) à Montpellier fin juillet 2022, dans la continuité d'un stage dont le programme était censé aligner tous les candidats au plus près des attentes d'un jury composé pour la circonstance. L’approfondissement des Kihon, la révision des Katas, mais aussi les Jitsugi de passage de grades blancs, commentés par les senseis, en composaient le menu idéal. Pourtant, les taux de réussite n'ont pas correspondu aux attentes, ni à celles de la très grande majorité des candidats (8/49 pour les 6e dan et 1/34 pour les 7e), ni à celles du jury. On pourrait imaginer aisément le jugement péremptoire d'un jury par trop exigeant ; je vous confirme qu'il n'en est rien. Ce qui me fait écrire cet article est la frustration que je ressens de cette situation quand je vois, quand je sens, quand je sais les capacités des candidats déçus.


Pour le plus grand nombre, il ne s'est pas agi d'un manque de niveau technique mais plus de l’absence d’une totale mobilisation consciente et déterminée sur les attendus d'un passage de haut grade. Je vais donc vous en proposer un vade-mecum en vue de la préparation des prochaines échéances. 


En premier lieu, la base de tout : l'état d'esprit, que bien entendu le jury ne peut voir en tant que tel. En fait, le jury ne peut qu'en percevoir les conséquences, la première d'entre elles étant la Posture. Sans cette posture mentale induisant cette posture physique, rien de fort, rien de pertinent, rien de déterminant, rien de réellement abouti ne peut surgir de nous-mêmes. Le but n'est pas de tous nous ressembler, nous cloner, mais plutôt de revêtir cette singularité exacerbée démontrant que nous nous connaissons nous-même suffisamment afin d'en mettre en œuvre le meilleur. Cela s'exprime naturellement, sans y penser, par la démarche, le maintien, la solennité, la maitrise de nos gestes et de nos émotions. SHIMOJIMA sensei, encadrant ce stage avec KASAMURA sensei, nous a dévoilé que 50% de son jugement résidait dans le Sonkyo. Il se doit d'être digne, puissant, ample dans le dégainé du Sabre et déjà exprimant le Seme.


On pourrait croire que, chronologiquement, le Kiai arrive ensuite et pourtant, dans l'état d'esprit et l'attitude, le Kiai devrait déjà être bien présent. Qui croit encore à ce niveau que le Kiai n'est que le son qui sort de notre bouche ? Le Kiai représente ce que nous rassemblons en nous même pour affronter la situation ; le son n'en est que la résultante mais aussi et surtout, il en est la criante démonstration. L'œil et l'oreille exercés d'un juré d'examen ne s'y trompent pas : les jeux sont faits. Il peut y avoir des exceptions et les 2 combats sont là pour détromper ce préjugement mais comme le disait Michel Audiard par la voix de Jean Gabin : "Il existe aussi des poissons volants, mais ils ne constituent pas la majorité du genre !"


Souvent dans un passage de grades, et le début de cet article pourrait être compris comme tel, la tendance naturelle est de se focaliser sur les attentes du jury. C’est une erreur que nous faisons tous, le jury n’est pas celui que vous devez convaincre ;le premier : c’est vous-même ; et juste après : votre partenaire. Le jury n’est qu’un instrument de mesure qui ne doit surtout pas influer sur l’expérience. Il existe aussi un concept qui peut nous libérer, nous désinhiber : considérer les Jitsugi comme des shiai un peu particuliers : Des combats où seuls n’ont de valeur que les ippons que nous réalisons. Tant que nous restons dignes affrontant l’adversité et que nos techniques et attitudes se rapprochent le plus possible du Kihon, toutes nos actions complètement délivrées, réussies ou non, n’apporteront que du positif au compteur des six décisions*.


A part quelques Nigirikata laissant, en Kamae, dépasser la tsuka de la main gauche, j'ai plutôt perçu un bon niveau général sur ce passage. Le niveau technique est souvent ce que nous pensons devoir démontrer en priorité et pourtant, les candidats reçus à ce passage n'en étaient pas les meilleurs porte-paroles. 

 

Et je conclurais cet article par deux exemples probants : deux des nouveaux 6e dan issus de ce passage de grades ont magistralement réalisé une prestation réussie en tous points. Ils n'ont nul eu besoin des enseignements de cet article tellement il est clair qu'ils vivent ces notions au quotidien. Ces deux jeunes 6e dan étaient les plus âgés ce jour-là, ils avaient tous deux 74 ans.

 

* J’ai écrit cet article en m’associant systématiquement aux receveurs des conseils que j’y dispense ; ma récente tentative du 8ème dan a démontré depuis que je devais effectivement les appliquer également à mon cas personnel.
 

Ci dessus, le passage de mon 9e kyu

Ci dessus, le passage de mon 9e kyu

Partager cet article
Repost0

Le shinogi : puissance et subtilité à votre main

Publié le par Jean-Pierre LABRU

Le shinogi : puissance et subtilité à votre main

Cet article que j'ai rédigé est paru dans le magazine Ken Do Mag en 2022

Le shinogi est une « ligne de force » qui suit la courbure de la lame tout le long du sabre japonais. Un peu tel un méridien, c'est le point de repère, l’ingrédient secret, de nombreuses techniques de sabre. Il représente, sur les deux faces de la lame, la partie la plus épaisse de celle-ci. De façon beaucoup plus basique mais tout aussi utile, sur un shinai, le shinogi est représenté par les deux lattes latérales du bambou.


Le shinogi peut, tour à tour, se présenter, comme un toboggan, un rail de sécurité, un mur blindé, un pied de biche, ou un détecteur de seme. Tellement rare est le contraire, on peut dire qu’il intervient dans toutes les "prises de fer" du sabre. 


Les techniques de harai (chasser le sabre latéralement), utilisent son inertie et son impact. Suri-age/uke-nagashi et suri-otoshi (dévier et chasser le sabre) profitent de sa surface lisse pour faire glisser le sabre adverse. Effectivement, si l'on présentait notre tranchant en réponse à une lame arrivant vers nous, le heurt des lames s'ébréchant l’une l'autre provoquerait un choc qui, d'une part, endommagerait les lames et, d'autre part, ne serait aucunement propice à une contre-attaque fulgurante. Bien que nécessaire en termes de précision, la subtilité dans la percussion d'un harai est beaucoup moins perceptible que les délicates mais fermes redirections de lame produites par suri-age et uke-nagashi. Quant à suri-otoshi, l'angle avec lequel le shinogi va se positionner afin de projeter vers le bas le sabre adverse, aura toute son importance et en multipliera les effets.


Dans l'épreuve de force, le shinogi s'impose à travers la technique de harai dans l'éviction pure et simple de la lame adverse par un "carreau", telles deux boules de pétanque. Il prend la place au centre du sabre qu'il aura ainsi délogé. Attention, pour celui qui reçoit le harai, de bien l'accepter pour mieux tenter le renvoyer, sinon la tétanie vous guette, à l’instant même qui devient aussi votre dernier. Le ukekata (protection de kirigaeshi par exemple) utilise également la force de persuasion du shinogi. Il y transmet le kikentai no itchi à travers le te-no-uchi. Le sabre agresseur s'y arrête net percutant un mur de conviction.


Dans le suri-otoshi, comme son nom l’indique, le sabre glisse en tombant. Notre shinogi vient projeter le shinogi de l’adversaire selon une trajectoire d’environ de 45° en descente. Très utilisé par le jo pour prendre l’ascendant en descendant, et donc le centre, sur le sabre, nous le retrouvons également dans le kendo no kata sur le 3e de kodachi. La connexion avec le kikentai no itchi est indispensable pour bien transmettre tout le poids de sa conviction dans le chasser du sabre adverse, tout en conservant le milieu après coup.


Un peu de finesse, de délicatesse, de sensibilité, tout en précision et force tranquille s’exprime le suri-age (de suru : glisser et ageru : faire monter, s'élever). Profitant des capacités de glisse du shinogi, suri-age vient intercepter la course folle de la lame adverse, et lui présenter une alternative non négociable : une glissade vers un monde meilleur, la déviant aussi irrémédiablement que la coupe était censée l’être. Aucun choc, par conséquent aucune force n'est nécessaire, une technique idéale pour les David contre les Goliath, ou oserais-je dire : les Xéna contre les Conan. Densifié d'un kikentai no itchi en mouvement, notre sabre vient rencontrer le trajet adverse pour lui présenter un toboggan, un rail de sécurité, le détournant de sa cible première : nous. Notre mouvement montant, amorce alors sa redescente vers la coupe d’un endroit choisi.


Et pour se protéger d’une lame pleuvant sur vous, quoi de mieux qu'un "para-sabre" : le uke-nagashi. Véritable version miroir du suri-age, cette fois-ci c’est la pointe en bas que la glissade opère. Tant dans le iaido dont le 3e kata de ZNKR porte son nom, les koryu de kenjustsu, que le kodachi du kendo no kata, le uke-nagashi est très utilisé. Evidemment, beaucoup plus adapté aux lames d'acier que celles de bois ou de bambou, ce toboggan à sabre nous protège, faisant dévaler le danger le long de notre lame vers des lieux plus sûrs, plus hospitaliers pour nous. L'armer de notre sabre ayant participé au mouvement glissant, il ne nous reste plus qu'à conclure l’échange d'une coupe bien sentie.


L’utilisation du shinogi passe par une bonne compréhension et application du te-no-uchi (l’intérieur de la main). Le tranchant de la main guide le tranchant du sabre, le plat intérieur et le dos de la main alimentent le toucher tel qu’il est qualifié dans les sports de balle. La fermeté et la délicate précision de vos mouvements de plat de main donneront à votre shinogi des pouvoirs exceptionnels dont, pour beaucoup, restent encore à découvrir.


Finalement, le tranchant du sabre ne fait « que » couper, le shinogi, lui, nous sert pour tout le reste.
 

Partager cet article
Repost0

Debana-waza : quand l'intention compte pour beaucoup

Publié le par Jean-Pierre LABRU

Championnats de France 2000

Championnats de France 2000


Certains, dont je suis, pensent que de rechercher à devancer l'attaque représente l'essence même de beaucoup de techniques de sabre.

Ne dit-on pas que les deux mots expliquant toutes les défaites depuis que le monde est monde sont : "Trop tard !" ?!

Devancer, dans ce cas, ne veut pas forcément signifier prendre l'initiative de l'action mais plutôt prendre l'initiative de l'ascendant sur l'intention : prendre le Sen !

Ce sujet, on pourrait l'illustrer au moyen du Kendo mais, tout aussi bien, en analysant un combat de chats. Etant plus expérimenté en Kendo, je vais plutôt développer mon propos à travers le combat au Sabre.

Debana-waza signifie la technique qui utilise l’instant du départ tel un sprinter qui cherche à partir au moment même du coup de feu, au risque de faire un faux départ.

 

Créer du lien

 


Nos disciplines se pratiquent à deux et ceci même si quelque fois le partenaire peut sembler invisible aux non-initiés.

"Ichi gan !" : En premier, il faut bien observer : metsuke !  

Nous observons notre partenaire et il nous observe. Nous savons qu'il sait que nous l'observons et réciproquement.

De notre acuité dépend directement la pertinence et l'actualité des informations que nous recueillons. Dès lors, un lien entre nous est créé et par ce biais, nous "communiquons".

Par notre attitude et notre comportement, notre partenaire et nous, l'un à l'autre, nous nous communiquons nos intentions, nos capacités d'actions, voire d'autres sentiments que nous aimerions souvent garder pour nous.

Jusqu'à ce que, comprendront ceux qui ont vu le film Avatar, nous puissions déclarer à notre partenaire : "Je te vois !".

Ce lien primal, animal, instinctif nous relie durant tout le combat, et ceci surtout sans s'attarder à l'analyse, ce qui hypothèquerait nos actions.

Le ressenti puis l'action sont intimement liés et, celle-ci chevauchant celui-là, nous conçoivent le debana-waza. 

 

"Ichi gan, ni soku, san tan, shi riki"

 


La première disponibilité "Ichi gan" est celle qui, les yeux et le kokoro grands ouverts, nous permet de "voir" le partenaire.

La disponibilité qui suit "ni soku" relève de notre capacité à nous déplacer vers lui au bon moment. A partir du moment où l'on intercepte le partenaire pendant son parcours, un pas mesuré suffit. Il permet un rythme de frappe plus concentré tout en requérant l’engagement suffisant à délivrer la puissance du ki ken tai no itchi.

En troisième "san tan" vient le courage, la détermination, la confiance en soi et l'engagement dans l'action.

En quatrième seulement arrive "shi riki" : l'habilité technique : en un seul temps, une coupe précise et intense : Sae !

 

Intuiter le rythme

 


Notre acuité de perception nous renseigne en temps réel sur les différents rythmes du partenaire : mouvements, déplacements, pensée, respiration, battements de cœur…

Et quand il y a un rythme, il existe un contre-rythme : le contre-temps appelé aussi le temps faible.

Le rythme d'un mouvement d'attaque débute lors de la prise de décision, se poursuit par l'abandon du Kamae pour lancer la frappe et dure jusqu’à l'impact du shinai sur la partie adverse.

Le déclenchement de ce processus de décision et d’action impose, par essence, que toutes ses composantes anatomiques et mentales soient toutes calées sur le rythme que nécessite la coordination de l'ensemble.

Une fois ce rythme bien assimilé par nos soins, l’anticipation du lancement du mouvement devient possible ; le contre-temps nous permet alors d'intercepter le partenaire à mi-chemin de son mouvement pendant son « temps faible ». 

 

Le travail

 


Les qualités d’empathie requises par le debana-waza demandent un volume de travail certain.

Notre talent d’observation, le développement de notre acuité, cela va sans dire, se travaillent à partir du moment où l’on ouvre les yeux le matin et surtout à partir du moment où chaque image remontée au cerveau suscite une analyse inconsciente provoquant une émotion : « Tiens, il a l’air en forme aujourd’hui ! ».

La captation des différents rythmes relève plus d’une notion musicale, tout autant que la compétence à intuiter les trajectoires peuvent être acquises par l’exercice des sports à trajectoires comme les sports de balles.

La somme des deux donne une excellente capacité de lecture des contre-temps. Et quoi de mieux que le travail de motodachi pour s’améliorer sur ces points ?!

La concision de frappe dans un espace-temps contraint : cela consiste à concentrer une attaque standard, compressée en un rythme et un déplacement le plus resserré possible, permettant ainsi la puissante précision spatio-temporelle indispensable au debana. 

 

Debana-waza, c’est faire la somme de tout cela

 


Des acuités réciproques nait le lien. A travers ce lien, les intentions s'expriment, s'opposent, s'affrontent. Une frappe va se développer, elle est perçue avant même qu'elle ne soit lancée.

L'opportunité, le contre-rythme, la détermination, l'habilité technique et la densité de l’attaque font le reste.

Attaquez l'intention du partenaire : "Si tu lances une frappe, je te devance en debana !" ; et d'un niveau suffisamment avancé, il vous perçoit et souvent, il fait de même.

Que voilà une belle et fraîche opposition réciproque du Seme !

 

(Article aussi publié dans la revue Kendo Mag éditée par le CNKDR)

Partager cet article
Repost0

Les états de conscience de l'ôjiwasa

Publié le par Jean-Pierre LABRU

(Photo Alejandro Guerrero)

(Photo Alejandro Guerrero)

L'ôjiwaza, est une réponse technique à une attaque venant du partenaire : une contre-attaque. Ôji vient de verbe ôjiru répondre, réagir. Waza : la technique.

Que les mots, par leur étymologie seule, peuvent être insuffisants à traduire les nombreuses dimensions d'un concept ! 
Les ôjiwaza sont très présents dans nos disciplines ; on pense au Kendô, où le terme semble plus utilisé, mais en proportion d'utilisation au quotidien, en premier vient le Iaido, le Jodo, puis sur un même plan le Kendo, le Naginata et le Chanbara. Pour ces 3 dernières, le pratiquant décide (ou est en mesure) d'utiliser ou non des ôjiwaza. On peut être expérimenté, fort et mature tout en ne pratiquant que les shikakewaza "attaques directes".
Pour les shikakewaza, de nombreuses répétitions en uchikomi/kakarigeiko peuvent suffire à en développer une compétence solide ; En revanche, pour un apprentissage en conscience de l'ôjiwaza, le travail à travers le kihon dans toutes ses composantes est indispensable. Il n’existe aucun pratiquant de haut niveau, maitrisant l'ôjiwaza, qui n’ait acquis préalablement la compréhension esprit/corps délivrée par le kihon. 

 

L'apprentissage en conscience

 

Comme beaucoup de techniques, les ôjiwaza demandent une bonne coordination, un maniement précis du sabre et un déplacement adapté. Mais cette fois-ci, les trajectoires et déplacements sont au millimètre et dans un timing au millième de seconde. Le maniement du sabre intègre souvent les "prises de fer" (interactions) avec le sabre du partenaire. Le te no uchi, ou "sentiment du fer" comme il est appelé en escrime, devient alors prépondérant durant la technique elle-même et non pas uniquement lors de sa conclusion : la coupe.
En premier, il conviendra d'apprendre à utiliser au mieux son corps et son sabre. C'est encore mieux quand les deux se meuvent de concert. Les amplitudes de déplacements de corps et sabre seront, au maximum, élargies afin d'acquérir trajectoires, fluidité ainsi que les mobilisations mentales et physiques nécessaires (Ki). Il est capital d'appréhender finement les trajectoires corps/sabre de nos partenaires ; un peu comme on peut comprendre l'effet qui a été donné, dans un sport de balles, à travers le décryptage instantané du geste du joueur. La compréhension fine de la trajectoire permet, au meilleur moment, d'intercepter ou se soustraire au sabre du partenaire. Finalement, la qualité d'acquisition de la technique d'ôjiwaza dépendra de la conscience investie dans tous ces aspects de l'apprentissage.

 

Pas de bel ôjiwaza sans un bon motodachi !

 

Le motodachi n'aura de cesse que de recréer la situation réelle du combat et ainsi mettre l'ôjiwaza dans son élément contextuel le plus véridique.

Le motodachi, uchidachi, s'efforce d'oublier qu'il va recevoir ôjiwaza, et se concentre sur sa frappe le plus sincèrement possible. Réaliser ceci correctement n'est pas une question de niveau : venir chercher le sabre de shidachi dans le men de Gohonme du Kendo no Kata est très courant quel que soit le grade. C'est humain de s'adapter à la situation, on vient à la rencontre du sabre de shidachi pensant inconsciemment aider à la réalisation.

"Inconsciemment"… Là est le vrai travail sur soi : aiguiser sa conscience !

 

Misez sur le rythme : la vitesse n’est qu’illusion !

 

Travailler prioritairement à vitesse réduite, afin de bien assimiler nos propres rythmes bien sûr, et très vite, de s'attacher à percevoir et intégrer ceux du partenaire. Selon les ôjiwaza, les rythmes d'action (timing) sont différents.

Tout d'abord, le rythme sera appréhendé à travers le concept qui considère la réponse comme faisant partie de la question. En effet l'ôjiwaza n'attend pas l'attaque de l'autre, il compose sur celle-ci, selon des rythmes différents en fonction des techniques utilisées.

Ci-dessous, une illustration des rythmes selon les techniques, l'attaque comme une question "Quelle heure est-il ?" et ôjiwaza comme la réponse "(10h!!!)" :

  • Debana waza* : Attaquer dans l'intention de l'autre 
    • Quelle (10h!!!) heure est-il ?
  • Suriage waza : Faire dévier le sabre de l'autre, glisser en montant et frapper 
    • Quelle heure (10h!!!) est-il ?
  • Kaeshi waza : Recevoir la frappe de l'autre et lui retourner 
    • Quelle heure est (10h!!!) -il ? 
  • Uchi-otoshi waza : Choquer vers le bas l'attaque de l'autre et frapper 
    • Quelle heure est-il (10h!!!) ?
  • Nuki waza** : Se soustraire à l'attaque de l'autre et frapper 
    • Quelle heure est-il ? _(10h!!!)

*Debana n'est pas classifiée comme un ôjiwaza, cela dit, prenons ici comme référence le rythme du debana pour expliquer l'ôjiwaza et surtout son état d'esprit : ne pas attendre, aller au-devant !
** Concernant le cas particulier de Men nuki Doh : il s’intercale entre le debana et le suriage.

 

Une meilleure réponse pour avoir su susciter la question

 

L'ôjiwaza étant une réponse, il repose sur une question. Avez-vous remarqué combien il est plus aisé de répondre à une question à laquelle on s’attendait ?

Savoir quelle technique va être réalisée (quoi), à quel moment (quand) et de quelle manière (comment) est la chose la plus difficile à obtenir. Pour mener à bien l'ôjiwaza, on maîtrisera les quoi-quand-comment mais aussi on saura attirer le partenaire dans une attaque "à corps perdu". 

 


"Pour ce qui est de l'avenir, il ne s'agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible." (A. de Saint-Exupéry)

 

Et dans notre cas, tout le travail va être de rendre "plus que possible" cette attaque que l’on souhaite de nos vœux. Pour que le partenaire attaque à "corps perdu", sans hésitation, notre kamae doit comporter une faille suffisamment "appétissante", un piège à miel, ou comme nous l'illustre HIRAKAWA Nobuo sensei :"Chocolat …??? ==> Pas chocolat !" où l'ôjiwaza s'est refermé sur le gourmand.

Le phénomène de l'arroseur arrosé arrive parfois : croyant faire un debana men je me trouve contré en kaeshi-doh par mon partenaire ayant gagné, pour cette fois-ci, le jeu de chifoumi/kendô. Le chifumi : une compétence à développer ?

Un ôjiwaza comporte donc un pari sur le quoi-quand-comment ; Mais surtout ne pas attendre de savoir si le pari est gagné avant d'actionner sa technique d'ôjiwaza : agir avec les "yeux de la foi", la foi en soi, en ses choix contextuels et techniques de l'instant.

La technique même de l'ôjiwaza ne représente "que" de l'apprentissage psychomoteur et s'acquerra par le travail en kihon notamment. 

 

La conscience d'un ôjiwaza réussi 

 

Au préalable l'apprentissage de soi, de l'autre, des rythmes et des trajectoires : s'y prendre quelques années à l'avance car la somme des acquisitions est conséquente.
Prenez le Sen, c'est le chifumi appliqué au Kendo.
Construisez et provoquez l'avenir qui convient à y apposer votre ôjiwaza.
Croire en vos chances, foncez et savourez le beau zanshin de l'ôjiwaza ainsi réussi.
 

 

(Article aussi publié dans la revue Kendo Mag éditée par le CNKDR)
Partager cet article
Repost0

Shodachi, ce moment qui imprime les esprits

Publié le par Jean-Pierre LABRU

Théâtre Athénée Louis Jouvet (Paris IXème)

Théâtre Athénée Louis Jouvet (Paris IXème)

Nous connaissons tous la citation de Mademoiselle, Coco Chanel : “Vous n'aurez pas deux fois l'occasion de faire une première bonne impression !”.
 
Nous pourrions en rester sur ces mots pour décrire le Shodachi ; Et pourtant cet article m'a paru nécessaire. En effet, il est communément reconnu par les senseis Hanshi japonais que le Shodachi représente jusqu'à 80% de leur jugement dans l'attribution d'un haut grade (à partir de 6e dan).
Mais en quoi diable, Shodachi : le premier échange, la première coupe, peut-il représenter autant de valeur et ne laisser que 20% d'importance aux 80% de temps de prestation restant ?
 
Nous avons déjà entendu dire certains Senseis que, pour continuer de progresser malgré la novicité de leurs partenaires, il était fondamental pour eux de travailler à prendre systématiquement le Shodachi sur chacun d'eux, quitte à leur laisser faire uchi-komi par la suite. Il se raconte également que quand l'un des deux protagonistes a significativement pris l'avantage lors du Shodachi, l'autre ne pourra que poursuivre l'irrattrapable durant tout ce qu'il reste du combat. Psychologiquement infériorisé, lancé dans une quête désespérée, il s'en trouvera dangereusement exposé aux techniques de son partenaire.

 

Ichi go Ichi é : "De toute une vie, une unique rencontre"


Une nouvelle fois ce concept cher à la mentalité japonaise nous revient et cette fois-ci s'entremêle avec la notion de Shodachi.
 
Que cela fut en occident ou en orient, quand deux bretteurs se retrouvaient sur le pré pour un duel, la rencontre, en tous points, devait immanquablement être unique. De nos jours, au-delà des passages de grades, la première rencontre, le Shodachi du premier keiko entre deux Kenshis expérimentés laissera des traces : les bases de leur relation en seront à jamais jetées. Au Japon, en raison du nombre de pratiquants hauts gradés, il n'est pas rare de rencontrer pour la première fois le jour même, ses partenaires de passage de grade. Il serait tellement dommage de se renfermer sur son propre ressenti et de perdre ainsi l'occasion de vivre pleinement cet instant précieux.

Lors de ma participation de 2019 au Kyoto Taikaï, j'ai rencontré un Kenshi inconnu lors du Tachiaï au Kyoto Butokuden. Etant extrêmement déçu de ma prestation, je n'ai pas vraiment profité de mon échange d'après keiko avec lui. En fait, non content de ne pas être suffisamment allé à sa rencontre pendant le keiko, j'ai récidivé lors des civilités d'usage. Notre échange ne s'est limité qu'à de trop laconiques félicitations pour que je ne m’en tienne pas rigueur après coup. C'est à la suite de cette expérience que j'ai mieux perçu la valeur de Shodachi et de Ichi go Ichi é. 


Mondes parallèles 
 

Un ami musicien m’a confié que lors d'une prestation sur scène, le premier morceau joué avec le groupe scelle le destin du concert. D'une part, il amorce l'alchimie entre les membres du groupe mais aussi permet d'initier la qualité de la connexion ainsi que la proximité avec le public. D'excellentes vibrations lors du premier morceau garantiraient la plénitude d'un grand moment de musique partagé.
 
Edifiant : Le grand Louis Jouvet explique "l'attaque" d'une scène au Théâtre : "Elle est essentielle. Elle doit être forte, nette, saisissante pour le spectateur qui est ainsi instantanément plongé au cœur même de la situation dramatique. Ce qui compte est "d’attaquer juste" !". Et quand on sait que le mot shinsa, que nous traduisons par "examen de grade", peut également être compris comme une "audition" (pour un rôle), le parallèle avec les arts de la scène est tout trouvé. Et surtout ne vous méprenez pas sur mes paroles, il n'est pas question de tenter d'être quelqu'un d'autre, de jouer un rôle lors d'un passage de grades, mais il s'agit bien de produire, à travers sa prestation, l’expression d’une version magnifiée de soi-même.
 


Préparez vos prochains Shodachi 
 

Cette version magnifiée de nous-même provient du plus profond de ce que nous sommes. 
OKADA Morihiro Hanshi disait ceci : "Le Kendô ne rend pas meilleur, il rend simplement plus fort !"
Ce qui, dans le cadre du Shodachi, peut se comprendre aussi : l'étincelle de ce que nous pourrons faire de mieux un jour est déjà présente en nous-même aujourd'hui. Notre prochain Shodachi ne commencera pas le jour J avec le premier Kiaï, ni même avec le salut, ni même avec le harnachement de l'armure : notre prochain Shodachi commence dès à présent, selon comment les concepts de cet article résonnent en nous. 

La technique que, sans en avoir conscience, nous choisirons au moment crucial ne sera que l'émanation de nous-même, notre état d'esprit, notre préparation permanente. Un guerrier vivant de son sabre se devait d’être prêt en permanence à engager sa vie. Y être prêt en permanence, impose de s'y préparer en permanence. Mais aussi, savoir qui l’on est, ce que l'on vaut, s'assumer comme tel intégrant chaque composante de nous-même qu'elle soit valorisante ou non. 
Et au moment de l'action, gonflé de Kiaï, s’il ne subsiste en nous aucune culpabilité ni regret d'être ce que nous sommes, nous serons alors immunisés face aux 4 grands maux que sont Kyo, Ku, Gi et Waku : la surprise, la peur, le doute et l'hésitation ; Le Shodachi viendra de lui-même.
 


"L'expérience est une lanterne qui n'éclaire que le chemin parcouru."  Maître Kong (Confucius)
 

L'expérience ne se transmet pas en tant que telle ; Les Senseis ou Shido (guide) peuvent nous l’inspirer, la susciter, la motiver en nous, nous y encourager… Et pour nous-même, il s’agit de la conquérir à travers la confrontation, investie et sincère ; Confrontation à l’autre et aux situations. Telle est l'éducation dans le Budo.

En conclusion, quand un sensei cherchera à prendre le Shodachi sur vous, surtout faites-en autant ! 
La qualité de l’expérience que vous renverra le sensei sera fonction de la sincérité de l’engagement investi par vous dans cet échange.

Alors, attaquez inlassablement le Kamae du sensei, confrontez-vous à son Seme et frappez !

 

 


(Article aussi publié dans la revue Kendo Mag éditée par le CNKDR)
Partager cet article
Repost0

Tournoi des 8e dan de AJKF

Publié le par Jean-Pierre LABRU

Le dimanche 18 avril 2021, se tenait au Nakamura sport center de Nagoya le 19ème tournoi japonais des 8emes dan de Kendo.

32 combattants invités, et parmi eux de nombreux sensei que nous connaissons, se sont affrontés selon les règles de compétitions ayant été légèrement adaptées en raison du contexte sanitaire.

Cette compétition a eu la chance de pouvoir se tenir car juste après, la 4e vague a battu son plein dans tout le Japon.

Ces sensei-combattants avaient de 52 à 65 ans, pour une moyenne de 60,4 ans.

Si nous regardons le podium ci-dessous, nous remarquons que la moyenne d’âge y est plus faible que celle du tournoi dans son ensemble. Pourtant, tel n'a pas toujours été le cas, le vainqueur en 2005 notamment, YAMANAKA Shigeki sensei avait plus de 65 ans.

1st                       Hideyuki EIGA                           57 ans, HOKKAIDO

2nd                     Takahiro NABEYAMA              52 ans, IBARAKI

3rd                      Tsukasa TAKEUCHI                 54 ans, OKAYAMA

                             Kazuhide YOSHIDA                  57 ans, OSAKA

Pendant toute cette compétition, nous avons eu le plaisir d'assister à des oppositions de styles. En effet, il est normal qu'après 50 ans de pratique régulière et intensive du Kendo, chacun ait développé un style qui lui est propre et qui le définit.

Les personnalités de ces sensei, à des moments, poussées dans leurs retranchements par un plus opportun Seme de l’adversaire, puis leur retour aux flambeaux manu militari, s'exprimant chacune leur tour. Jusqu'à la chute, le grain de sable, l'incident, la mécanique grippant d'un coup ; et d'un coup d'un seul recevant un ippon.

J'en profite à ce moment du récit, nous l’oublions trop souvent, pour féliciter l'arbitrage qui fut magistral de présence, de lecture des échanges et d'humanité dans les décisions. Et en même temps, au vu du casting, on s'en serait largement douté ; mais il est important de tout de même le souligner.

Après tout est une affaire de goûts, de style de Kendô. Nous avons assisté par exemple à une belle opposition entre Tsukasa TAKEUCHI et MIGITA sensei du Kokushikan que nous connaissons bien. Malgré une domination qui semblait évidente du Seme de MIGITA sensei, la vivacité de TAKEUCHI sensei fit la différence par un Kaeshi-do réflexe.

Parmi les sensei que nous connaissons, vous y retrouverez aussi :

NAGANO sensei, URA sensei qui ont été des experts délégués par ZNKR en France.

NABEYAMA sensei, le finaliste, qui vient régulièrement en Hollande notamment et qui a démontré un Kendo jeune encore plein de fougue et d'engagement,

ISHIKAWA Sensei, de la police de Kyoto bien connu de nos amis Belges,

TERACHI sensei, qui fut le capitaine de l'équipe du Japon lors des championnats du Monde à Paris en 1994 et qui gentiment me fit visiter le dojo du Keishicho (préfecture de police de Tokyo), jusque dans les boiseries murales, au cours d'une longue série de Ai-uchi men dont je garde un souvenir ému.

Et dans les sensei que je ne connaissais pas, je vous conseille d'aller voir les combats de YAMAMOTO sensei arborant un magnifique et très efficace Jodan no Kamae, SAGA sensei et son grand Men alors que lui ne l'est pas tant que cela, YOSHIDA sensei et notamment un kote-men d'anthologie… et bien d'autres sensei à découvrir.

Et puis, pour la plupart, nous avons découvert le vainqueur, EIGA Hideyuki, le frère de Naoki venu en France avec son fils l'année dernière.

Je l'appelle donc par son prénom : Hideyuki sensei, avec qui l'équipe de France de l'époque, dont j'étais, avait fait une démonstration de shiai lors du Paris Taikai de 1998. J'en avais gardé un très bon souvenir ainsi que sa paire de zoori.

EIGA Hideyuki sensei, un parcours sans faute, des ippons faramineux, d'un dynamisme explosif usant pourtant d'un gabarit largement supérieur à la moyenne pour un japonais.

Le Men Debana / Ai-uchi / Nuki Men, un peu des trois, premier point de la finale : modèle du genre à voir et revoir…

Au ralenti, on comprend mieux le, léger mais suffisant, Ken-o-Korosu (action déterminante sur le sabre adverse) de EIGA à la micro seconde ou NABEYAMA lançait son Men, ce qui l'a fait dévier bien qu’arrivant avant, juste à côté, laissant la place d'un mouchoir de poche d’espace-temps au Men de EIGA.

Une superbe édition ce 19th tournoi des 8èmes dans de Kendo, je ne regrette absolument pas m'être levé très tôt pour ce fabuleux "Asa-Mitori-Geiko" !
 

Partager cet article
Repost0

Le Kendo féminin m'inspire souvent...

Publié le par Jean-Pierre LABRU

Crédit Photo : All Japan Kendo Federation

Avertissement préliminaire

 

L'évocation même du sujet qu'il puisse exister un Kendô féminin fait débat alors imaginez : je me propose de le décrire, le cartographier, le cataloguer (dans le sens : en faire son catalogue de techniques). 

Existe-t-il un Kendo féminin ou, autrement dit, pouvons nous recenser des points communs à la majorité des femmes qui pratiquent le Kendô et qui les différencient de la majorité des hommes.

On a tenté de me dissuader d'écrire cet article, sans doute de peur que mon propos soit mal compris, mal reçu, mal perçu.

Effectivement, comme le disait le pasteur Martin Luther King : "Pour vous faire des ennemis, inutile de déclarer la guerre, dites simplement ce que vous pensez !"

Mais qu'à cela ne tienne, confiant que soit reconnue la bienveillance qui m'anime, je me lance.

Revenons-en au sujet, à commencer par le titre : oui le Kendô féminin m'inspire souvent et vous allez voir pourquoi.

 

Généralités

 

Quelles sont, selon moi, les principales caractéristiques du Kendô féminin ?

Evidemment, nous trouverons vous et moi quelques contre-exemples à ce que je vais décrire par la suite mais comme disait Audiard par la voix de Jean Gabin :"Oui, et y'a aussi des poissons volants mais qui ne constituent pas la majorité du genre."

Morphologiquement, les différences entre femmes et hommes apportent des capacités ou facilités en Kendô à réaliser telle ou telle technique... ou quelques difficultés, par exemple : Le haut du corps plus lourd généralement chez les hommes athlétiques amènent une propension au déséquilibre avant lors de la frappe en force et vitesse.

Par rapport au Kendo masculin, le Kendô féminin, à niveaux, expériences et toutes proportions égales par ailleurs, utilise moins la force, la puissance et la vitesse.

Elles pratiquent plus souvent les Oojiwasa, surtout face à un homme plus grand et plus puissant. Justement, la pratiquante sera plus à l'aise dans des contre-attaques ciblées et dans un mouchoir de poche d'espace-temps, en réponses à des attaques puissantes et lointaines. En effet, les Oojiwasa, quand ils sont bien exécutés, ne demandent pas de force ni de vitesse mais utilisent la force du partenaire à condition de conserver un timing (rythme) optimum.

Plus le niveau et la maturité augmentent, plus le pratiquant pourra se rendre compte que la vitesse pure n'est pas une solution viable, de même que la surprise. Effectivement, les jeunes années de shiai peuvent laisser l'illusion inverse et il conviendra de s'en départir afin de se donner les moyens d'évoluer vers les hauts grades.

Plus pertinents que la force et la vitesse, qui peuvent être mauvaises conseillères, existent le rythme et la cohérence globale des mouvements (déplacements et frappes). De nombreuses fois, pour tenter de convaincre mon auditoire, j'ai démontré un Oojiwasa au ralenti répondant à une frappe lancée à pleine vitesse. L'esprit serein, le corps disponible mais relâché puis le rythme associé à la cohérence font le reste.

Y a t il vraiment des techniques de Kendô spécifiques pour les femmes ?

 

En premier lieu, je pense vraiment que la pratiquante s'adaptera plus souvent à son partenaire que ne le ferait un homme. C'est tellement habituel de voir un homme rapide, puissant et un peu mono-Wasa, voire "one-man-geiko", lancer sa même technique qui que ce soit en face. Une femme elle, par expérience, devant chercher des moyens pour s'exprimer, sera amenée à plus souvent s'adapter.

Debana-wasa et Shikake-wasa

Les Shikake-wasa, attaques directes, ou les Debana-wasa, attaques dans l'intention d'attaque du partenaire, peuvent, bien entendu être réalisées par les pratiquantes. Il faut pour cela qu'elles prennent en considération quelques facteurs. Le principal facteur est l'inertie de leur partenaire, en mouvement ou non, et si elle est disproportionnée par rapport à l'attaque féminine, il conviendra de bien soigner le Ashisabaki. Soit par un Tai-sabaki savamment orchestré en termes de timing et trajectoire, soit par un Tai-atari suffisamment stable pour "rebondir" en restant sur ses appuis.

Avant février 2020 j'aurais dit : "Sur les attaques directes en Men et le Debana-Men notamment, c'est un peu moins facile pour une femme de s'exprimer !" et puis le brillant passage de 6ème dan d'une amie qui fait moins d'1m60 face à un géant bleu de 2m, me fait être moins assertif.

Oojiwasa sur une frappe de Men 

Les Oojiwasa, contre-attaques, sont par définition une bonne réponse à une attaque aussi puissante, engagée et rapide soit-elle. Par l'allonge des bras, alliée parfois à l'inclinaison du haut du corps vers l'avant, avec lesquelles le Men est frappé, il reste largement assez d'espace dans la distance pour délivrer la contre-attaque.

Men-nuki-do, Men-nuki-kote ou Men-nuki-men sont des techniques d'esquive, ayant préalablement laissé croire notre partenaire à la réussite de son attaque ce qui le fait s'engager totalement sur son Men. Le déplacement joue ici encore un rôle déterminant et ses exigences sont tout à fait à la portée d'un jeu de jambes féminin. Dans cette technique, il n'y a pas de contact ni avec le sabre si avec le partenaire lui même. L'éventuelle différence de puissance n'est donc pas un sujet.

Men-Kaeshi-Do, Men-Kaeshi-kote ou Men-Kaeshi-Men utilisent le choc des sabres afin de réutiliser la puissance de la coupe du partenaire pour propulser la notre. Cette technique est hautement exigeante en terme de rythme, il est alors indispensable de bien savoir rediriger (ou dévier) la force surtout face à un attaquant surpuissant. S'en suit, ou plutôt dans un même temps, un indispensable Tai-Sabaki qui nous soustrait à la percussion par le partenaire et ainsi valablement réaliser la frappe et son Zanshin.

Les techniques de Kiri-otoshi ou celles de Uchi-otoshi, nécessitant une interaction forte sur le sabre adverse et demandant un rapport de puissance quasi équivalent afin de les mettre en place sur une attaque adverse, les femmes semblent a priori moins aptes à réaliser ces techniques. Cela dit, je serais très heureux de me rendre compte un jour, à mes dépends, qu'une exception confirme toujours une règle.

Oojiwasa sur une frappe de Kote 

Quasi toutes les réponses possible à une attaque de Kote sont réalisables par les pratiquantes. En effet, la puissance de l'attaquant arrive moins par le haut et il est ainsi plus facile de s'en accommoder sans avoir besoin de déployer de la force physique.

Ai-kote-men est la réponse par Kote-men à une attaque de Kote. Elle demande une capacité de percussion de Kikentai no Itchi qui pourrait ne pas correspondre à une capacité féminine. Cependant, le kote du Kote-men devant arriver en même temps que le koté attaqué, il suffira que le Kime (détermination, implication, ferveur) soit suffisant pour annuler l'attaque de l'adversaire et conclure par le Men.

La technique d'Oojiwasa féminine par excellence

La technique que je trouve la plus adaptée à la gent féminine est Suriage, sous toutes ses formes et en réponse aussi bien à l'attaque de Men que de Kote. En effet, suriage, plus la frappe du partenaire est puissante, et plus il se retrouve emporté par son élan lorsque le suriage aura fait glisser son sabre dans le vent.

Il se trouve que cette technique est celle que j'utilise le plus souvent en Oojiwasa ; Cela doit assurément vouloir être une expression de mon côté féminin. ;^)

Cette technique demande une grande précision de trajectoires. La lecture de trajectoire du sabre du partenaire, la maîtrise de celle de son propre sabre, la gestion de celle de son propre déplacement. La réussite de la technique dépend de la délicatesse avec laquelle vous avez fait glisser la lame du partenaire sur la votre fortement connectée à votre Kikentai no Itchi, tout en utilisant le plat du sabre (Shinogi).

L'absence de blocage, l'absence de choc, d'impact, fait que la force ne prend pas part à la technique mais aussi que le rythme n'est aucunement retardé et cela devient redoutablement efficace.

Alors, oui, je dis que suriage est une technique très féminine.

 

Le Kendô féminin en Europe

 

Le Kendo féminin européen arrive aujourd'hui à un tournant historique. 

Au 28 avril 2021, 37 femmes avaient obtenu le 6edan et 8 de plus le 7eme, dont deux 7e ne sont pas nées au Japon. Ce qui fait 45 femmes haut gradées en Europe dont une 7e dan et deux 6e dan passées en février 2020.

Nous pouvons désormais dire que le haut niveau Européen du Kendô féminin existe ; de là à dire qu'il peut s'organiser dans une pratique purement féminine et en autonomie, il y a plus qu'un pas. D'ailleurs pourquoi en aurait il besoin ?

Je ne prononcerai pas sur l'utilité de stages spécifiquement féminin mais rien que le fait de ne pas souhaiter se prononcer annonce déjà ne pas être convaincu de leur utilité. Bien entendu, je ne parle ici que de l'utilité en termes technique de Kendô sauf évidemment de se dire que c'est une excellente occasion de pratiquer entre femmes, surtout pour celles qui ont majoritairement des hommes comme opposition dans leur dojo.

Au Japon, les femmes et les hommes pratiquent très souvent chacun de leur côté, dans leur genre. De toutes les façons, la société japonaise est orientée comme cela, séparant, ségréguant les hommes et les femmes dans de nombreux domaines.

Et nous voilà presque étonnés que le Japon subisse de nos jours un énorme problème démographique. Je me suis marié deux fois et à chaque fois avec une pratiquante de Kendô qui m'ont donné en tout trois beaux enfants. Dites moi comment j'aurais fait sinon ! (Rires)

Plus sérieusement... 

J'ai beaucoup appris à combattre contre des femmes en Kendô, tout en me heurtant également à mes valeurs venant notamment de mon éducation et de cette phrase : "On ne frappe jamais une femme, ne serait-ce qu'avec une fleur." Et donc prenant en compte ce précepte, quelles solutions s'offrent à nous, "pauvres diables que nous sommes", pour faire face à une combattante volontaire et décomplexée, elle.

La vitesse, la force, la percussion de nos physiques cinétiquement supérieurs, oui mais voilà, pour toutes ces raisons évoquées, j'ai préféré choisir la douceur maitrisée de la technique.

 

Conclusion

 

Je ne souhaite surtout pas conclure ici mes échanges, j'ai d'elles encore tellement à apprendre...

Imaginez qu'une fois que, grâce à votre pratique ayant souvent mélangé les genres, vous avez perfectionné vos techniques pour qu'elles ne s'appuient que sur le timing, la distance, le maniement en douceur, les TeNoUchi suaves, impacts déposés, coupants mais délicats...

Imaginez, comme quand nous rencontrons à nouveau un solide gaillard, nos techniques ainsi fémininement aiguisées peuvent s'allier à notre puissance sans entrave avec tout ce que cela peut nous apporter comme facteurs clefs de réussite.

Un dernier petit mot pour vous Mesdames : KEIKO ONEGAISHIMASU !!!

 

 

 

Partager cet article
Repost0

1 2 3 4 > >>